3 - Emmanuel Laroche et l'IFAI (futur IFEA) 1964-1974

Jean-François Pérouse
Directeur de l’IFÉA

Emmanuel Laroche succède à Louis Robert et prend ses fonctions de directeur au début de l’année 1965. Son nom apparaît dans les registres détaillés de la correspondance de l’IFAI en février 1965 précisément.

Les Laroche devant l’IFAI en 1965

Cahier des traitements : traitements de l’intendante et de la bibliothécaire pour janvier 1969

Frais de poste pour envoi de lettre express recommandée à Emmanuel Laroche, octobre 1970

Étrennes des cavas de l’Ambassade de France données par l’IFAI, 1971

Comme ses prédécesseurs, Emmanuel Laroche ne réside pas en permanence. Il est saisonnier, passant l’hiver (fin septembre-fin juin) en France, à Strasbourg (Dans le PS d’une lettre datée du 30 juin 1972, il écrit explicitement “Je demeure à Istanbul de début juillet à fin septembre”). Les cahiers annuels de “Correspondance” conservés dans les archives de l’IFÉA nous renseignent par le menu sur le mouvement du courrier, mois par mois. On voit donc durant l’hiver un nombre important de lettres destinées au directeur hors-les-murs. C’est même l’essentiel des lettres qui sortent de l’IFAI (en février 1967, sur les 5 lettres envoyées, 3 le sont à la famille Laroche et une à Albert Gabriel ; sur les 18 lettres envoyées en mars 1967, 8 l’ont été à M. ou Mme Laroche ; deux à l’ancien directeur A. Gabriel ; une au prédécesseur de Laroche, Louis Robert ; en janvier 1968, sur les 11 envois enregistrés 7 concernent les Laroche…). Dans son projet de réorganisation de l’IFAI remis fin 1971 au Ministère des Affaires étrangères Emmanuel Laroche préconise d’ailleurs que les chercheurs et le directeur deviennent plus permanents, soulignant l’insuffisance des séjours “fugitifs”.

Aux intermittents s’opposent les permanents de l’IFAI, des “locaux” qui constituent le noyau stable. Ils sont à cette époque encore plutôt issus des minorités pour les tâches à responsabilités. Pour les mois d’hiver, d’après les “Cahiers des traitements” qui distinguent le “personnel de service” du “personnel administratif ”, on relève : Mme Thérèse Pios puis Mlle Roma Bartolomeo (au poste d’intendante), Mlle Lucie Kesecioğlu/ Kesiciyan (bibliothécaire), Mme Maria Tchitchitian (cuisinière), Monsieur Antonio Negri (plombier-zingueur) ; pour les autres, signalons Recep, chauffeur, M. Adem Muhiç, portier, Türkan Epşen (qui décède début janvier 1970), femme de ménage, et Mme Hüsniye Aşık, blanchisseuse. Les heures supplémentaires du personnel local sont concentrées sur les mois d’été, septembre compris.

L’activité s’intensifie donc lors de la période estivale, qui est en même temps celle des fouilles archéologiques (Emmanuel Laroche est souvent à Porsuk-Ulukışla à partir de 1969). Les chercheurs présents sont dénommés “missionnaires” (chercheurs de passage) et “pensionnaires” (Emmanuel Laroche contribue à établir ce terme dans le jargon de l’institut), pour ceux qui restent plus longtemps, comme le byzantiniste J.-P. Sodini. En 1970, d’après le rapport d’activités tiré des archives, ont séjourné à ou sont passés par l’IFAI : M. et Mme Sourdel, islamologues, Alex Lezine, I. Melikoff (on repère sa trace déjà en 1967), J.-L. Bacqué-Grammont, G. Charachidze (ÉPHÉ) ; et pour l’archéologie, M. et Mme Bernand (Besançon), M. Seve, M. et Mme J. Marcade, M. Maffre et M. Dumont (Limoges). C’était encore le temps où les archéologues et islamologues à destination ou de retour de l’Orient (Égypte, Iran, Afghanistan, Syrie…) passaient par Istanbul.

Dernière page du projet de restructuration de l’IFAI remis fin 1971 au Ministère des Affaires étrangères par Emmanuel Laroche

Lettre d’Emmanuel Laroche à P. Devambez concernant la publication d’un volume dans la collection “Bibliothèque archéologique et historique”, 1er août 1973.

Brouillon du budget 1972 de l’IFAI et paragraphes où l’on propose une augmentation de 70 % pour le personnel local

En février 1971 Emmanuel Laroche propose au Ministère des Affaires étrangères un plan de restructuration de l’IFÉA assez visionnaire. Se plaçant dans une optique interdisciplinaire, soucieux des enjeux contemporains et conscient de l’importance géostratégique de la Turquie, il propose explicitement dans ce plan d’ouvrir l’archéologie aux “sciences humaines”. La réforme de 1975 – qui verra l’IFAI transformé en IFÉA – paraît en grande partie inspirée de ses judicieuses propositions. Il manifeste aussi une attention pour l’organisation pratique et matérielle de l’institut – en 1968 il fait faire un mur de séparation côté İstiklâl –, comme pour le sort du personnel local pour qui il réclame une augmentation de 70 % (!) dans son projet de budget pour 1972.

Durant les années Laroche, l’IFAI publie six volumes importants de sa collection “Bibliothèque archéologique et historique” (G. Dumézil, J. Matuz, R. Mantran, N. Beldiceanu, K. Özbayırı, R. Ünal) – aucun ne concerne l’archéologie – et la bibliothèque est réorganisée à l’initiative du directeur et fait des acquisitions importantes. Les liens avec l’Ambassade et le Consulat semblent étroits et l’IFAI donne encore chaque 31 décembre des étrennes aux “cavas/kavas” de l’Ambassade, les personnes chargées de la sécurité, comme à diverses oeuvres de bienfaisance (lutte contre la tuberculose, Œuvres de Saint Vincent de Paul, Croissant Rouge, Œuvres françaises Saint Louis, Saint Benoît, … ). L’institut est par ailleurs abonné au Journal d’Orient, quotidien francophone, jusqu’à l’extinction de celui-ci en août 1971 (il avait été fondé en 1918 par Albert Carasso/Karasu).

Emmanuel Laroche démissionne en août 1974. Robert Mantran qui est pressenti par le Ministère des Affaires étrangères pour lui succéder décline finalement la proposition.